Politiques Culturelles et servitudes.
Après les tumulte que l'on vient de laisser derrière nous lors des récentes élections locales, l'action publique dans le domaine de la culture s'efforce bien sur, tant bien que mal, de poursuivre au niveau local, ses objectifs spécifiques proprement fonctionnels en direction des artistes, des publics et du patrimoine. Ses réalisations comportent une dimension que, à défaut d'être palpable ou concrète, n'en reste pas moins essentielle dans une société qui se veut à la fois démocratique et humaniste.
L'action culturelle participe ainsi activement à la construction de la citoyenneté.
Elle permet à tout individu d’accéder aux œuvres de l’esprit et de les comprendre. Elle permet à tout individu de pratiquer un art, d'aider chacun à acquérir, au-delà de son épanouissement personnel, une ouverture d’esprit, une ouverture à l’autre et au monde, une rigueur personnelle lorsqu’il s’agit de pratiquer un art. Autant d’éléments qui, dans le prolongement de l’action publique spécifique à l'éducation, contribuent à construire des citoyens libres et éclairés.
Les villes, après avoir vécu - non sans peine - les affres de la décentralisation, se sont imposées aujourd'hui comme le second pilier du service public de la culture.
Elles ont accompli depuis 25 ans un effort considérable en matière d’équipements publics culturels et se sont fortement engagées notamment dans le soutien aux centres dramatiques et chorégraphiques et aux scènes nationales.
Cependant il existe, en France, une tradition ancestrale de relations, souvent orageuses, mais toujours étroites, entre l’Etat et les acteurs du monde culturel et artistique. Et aujourd’hui encore, la reconnaissance et le soutien de l’Etat sont perçus comme une consécration.
A l’inverse, les relations entre les élus locaux et les acteurs culturels ont toujours été et restent encore empreintes d’une certaine méfiance, pour ne pas dire d’une certaine défiance. Pourquoi ne pas dire les choses telles qu’elles sont : les élus locaux sont souvent perçus comme n’ayant pas la hauteur de vue et l’ouverture d’esprit qu’attendent les artistes.
Les responsables des institutions culturelles eux-mêmes s’attendent parfois, le plus spontanément qu'il soit, à trouver chez le ministre de la culture, (quel qu’il soit, ou au sein de son administration) cette « hauteur de vue », qu'après de leurs propres élus locaux.
Naïveté ? Puérilité ? Superstition ? Discrimination des « clans culturaux » envers les élus locaux ? Va savoir ....
De surcroît, l’expérience de ces dernières décennies (et encore de ces derniers mois) montre que les acteurs culturels n’ont pas toujours tort de craindre, au niveau local, les alternances politiques dont ils ont beaucoup plus rarement pâti lorsqu’elles se sont produites au plan national. A quelque rare exception pré.
Les projets culturels locaux ambitionnent aujourd'hui et de manière de plus en plus accrue une politique globale qui concerne, pour la plupart, trois volets fondamentaux de l'action publique culturelle, à savoir : les œuvres, les publics et les pratiques.
1°) Les œuvres : car la collectivité territoriale doit concourir activement à faire vivre le patrimoine culturel, par sa mise en valeur et par un soutien fort à la création et au patrimoine de demain.
2°) Les publics : car le territoire doit œuvrer en faveur d’une offre culturelle et artistique multiple et de qualité et elle doit favoriser, conjointement, le meilleur accès du public à cette offre, notamment par l’action culturelle et la médiation.
3°) Les pratiques (artistiques et culturelles) : car localement l'élu doit promouvoir le développement des pratiques artistiques, aussi bien les pratiques en amateurs, qui contribuent à l’épanouissement personnel et à la citoyenneté, que l’emploi artistique et particulièrement les filières et actions de professionnalisation en faveur des jeunes artistes, parce qu’on touche là aussi aux responsabilités économiques et sociales de tout un territoire.
Le pouvoir politique local est légitime à définir désormais les orientations générales de son intervention en matière culturelle et il lui revient naturellement de définir les moyens qu’il entend y consacrer et de mettre en place les dispositifs qui définissent ses modes d’intervention. De même, il peut décider de nouer des formes étroites de partenariat contractuel avec telle ou telle institution culturelle dont les activités lui paraissent pleinement en phase avec ses objectifs de politique culturelle.
Les élus en sont-ils seulement conscients de celà (ou tout simplement préparés) lorsqu'ils arrivent aux affaires ?
Comment en effet parvenir à l'évitement par un bon nombre d'élus locaux de tout clivage, sectarisme, clientélisme, amateurisme , ostracisme, dogmatisme lorsqu'il s'agit, par exemple, de répartir à bon escient des subventions destinées à soutenir directement des projets artistiques, des compagnies ou toute autre formation artistique ?
Comment le pouvoir local va permettre que les aides soient allouées sur des critères exclusivement artistiques et techniques ?
Pour éviter tout écueil d'amateurisme, ou pire encore : d'autoritarisme, tout élu local, chargé de mettre en oeuvre un « schéma culturel » clairement défini et régenté par des moyens précis et doté d'un agenda d'application et d'évaluation clair, se devrait de s'adosser, par exemple, à des « comités techniques », composés d’experts indépendants du milieu politique et artistique local. Sans oublier de ses propres responsables administratifs chargés de la mise en oeuvre de l'action culturelle dans le territoire.
Ainsi seuls des « dispositifs intermédiaires », chargés de la médiation entre les élus, les publics et les créateurs, seraient de nature à garantir que des critères fondés exclusivement sur la qualité artistique et technique des projets présideront désormais à la répartition équitable, juste et impartiale des fonds publics locaux afférents à la culture.